7 février 2014

"Rire, c'est faire oublier" Victor Hugo

Il se tient courbé. Son dos fait une courbe parfaite. Je ricane en lui faisant remarqué qu’il se tient comme une fille. Ventre rentré et poitrine en avant. Il me fait une grimace. Celle ou il plisse à peine le nez en tirant la langue, mais toujours avec ce sourire.
Nos genoux se touchent, il pose sa main sur ma cuisse. Je tourne la tête et bois mon Monaco. On ne dit rien et j’écoute le bruit ambiant du bar. Un couple s’embrasse devant moi. Je le fixe. Je sais ce qu’il va dire mais je ne détourne pas la tête, j’aime bien la question qui va suivre.

« Pourquoi tu me regardes ? »
« Je sais pas, j’aime bien »
« Arrête de me regarder avec cet air là »
« Quel air ? »
« Celui là. Tu sais. Mais si ! Le coup du regard énigmatique. On dirais que tu me scanne. »

Je continue. Parce que j’aime sentir ses doigts à travers mon jean, il bouge à peine sa main mais je peux tout sentir. Je laisse passer un silence. On sait ce que je vais dire mais on ne relève pas. Parce que même si on dit toujours la même chose, c’est comme ça qu’on est.

« C’est toi qui me fixe là »

Il prend son air offusqué
« C’est parce que t’es belle »Je ne sais pas si je dois me sentir débile d’être contente. Satisfaite. Il sirote un pastis, et si je me rapproche, je peux sentir l’anis mélangé à son haleine. J’aime son profil. Il a un nez très long et j’aime bien quand il ne porte pas de lunettes, ça lui donne un petit air paumé. On compare nos mains. Il a les phalanges fines et ses doigts s’épaississent à l’extrémité.
« Je préfère les tiennent, tu as les mains boudinés »

Je râle un peu. Je lui explique que j’ai des mains très bien, pas boudinés. Et que le mot « boudinés » est trop disgracieux pour définir mes doigts.
C’est ces moments là qui me manquent. Ceux ou il était complètement présent. Pas en retard ou attendu quelque part. Juste là, à ma disposition. Parce qu’il avait envie de me voir.

J’aime quand il me réclame, que mon téléphone sonne et que j’entends sa voix qui me dit qu’il est en ville, qu’il ne veut pas rentrer et qu’il veut boire un café. J’aime quand on fait tout pour repousser le moment de partir.
La dernière fois, je sais plus comment, on a finis par se tenir la main. Je marchais surement bizarrement, parce que la chaleur de sa main dans la mienne me rendait toute raide. Je n’osais pas trop bouger, de peur que ce soit inconfortable pour lui et qu’il récupère ses doigts. Pourtant, il levait le bras pour éviter les poteaux et on a parcouru des mètres et des mètres avant qu’il ne me lâche. Quand on passait devant des gens, je me demandais ce qu’ils pensaient en nous voyant. J’essayer de deviner ce qu’ils croyaient. Peut être ne nous ont-ils même pas remarqué. Mais moi, j’aimais l’idée qu’on nous prenne pour un couple normale.
Je pourrais noircir des pages et des pages rien que pour le décrire.
Il a un sourire rayonnant, qui laisse voir toutes ses dents de devant. Son visage se tire juste comme il faut. Il n’y a aucun pli disgracieux. Même devant un appareil photo, son sourire ne fait pas forcé ou faux. Quand il rit, c’est un rire étouffé. Comme si il manquait de souffle. Ça sort du fond de sa gorge et ça dure longtemps. Il est expressif, ses sourcils bougent tout le temps et il n’a pas les marques disgracieuses sur le front de ceux qui haussent trop souvent les sourcils. Il est mince mais on peut sentir les muscles de son dos bouger sous son t-shirt quand il marche. Il a la peau brûlante tout le temps, comme si il avait constamment de la fièvre.
Face à lui, je me sens toujours petite fille. Comme idiote et inculte. Mais parfois, quand je capte un regard ou un mouvement, je me sens femme, désirable et parfaite.
Quand je suis en face de lui, j’ai de l’assurance, je souris, je suis cynique, un peu piquante. Je titille, je taquine. Je deviens celle qui peut se permettre d’être sarcastique. On s’envoie des piques en souriant, ce n’est pas méchant, c’est juste un échange pour juger de la répartie de l’autre. On répond du tac au tac, on dit beaucoup de conneries. On rit de rien, on se comprend.
C’est comme si j’étais en apnée constamment et que je me permettais de respirer normalement qu’en sa présence. C’est agréable et en même temps, ça me fait suffoquer.
J’ai dû attendre une poignée d’années avant de réussir à formuler les syllabes de son prénom à quelqu’un. Pour expliquer, raconter.
Et depuis, c’est une note sucrée sur ma langue. C’est une fleur dans mon cerveau.
C’est autant de caresses dans le cou que de coups de poings dans le cœur.

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